Cet engouement pour les essences à courtes révolutions est dû en partie aux incitations fiscales et aux aides attribuées par le Fonds Forestier National. A partir les années 60 pour une recherche de profit à court terme des investisseurs, dont certains institutionnels investissent dans la forêt morvandelle en pratiquant une exploitation intensive, avec coupes rases et plantations artificielles de douglas ou d'épicéas. Et cela n’ a cessé de se développer, la forêt étant de plus en plus soumise à la pression du marché. Et maintenant ? elle est à nouveau sacrifiée sur l’autel du bois énergie, d’installations de co-génération, de mega-scieries qui ne vont qu’aggraver le problème : nous verrons en effet une transformation brutale et incontrôlée des forêts en Morvan, avec des plantations à courte révolution qui seront exploitées à 35, 40 ans appauvrissant les sols déjà acides. Lors d’une journée organisée par le Comité Scientifique du Parc Naturel Régional du Morvan, des chercheurs, scientifiques et experts forestiers ont démontré les conséquences d’une exploitation intensive sur l’eau, la biodiversité, et la production future en baisse du fait de la dégradation des sols, si l’on continue à planter une seule essence comme le douglas en monoculture, au détriment de méthodes proches de la nature performantes économiquement et d’une production de bois de qualité.
Il est nécessaire de rappeler que l’acidification des sols, un des principaux risques environnementaux à l’échelle de la planète, n’est pas seulement due à la pollution atmosphérique (d’origine industrielle ou agricole) mais en bonne partie aussi à la... croissance des arbres!! Le mécanisme est connu (il s’agit d’un déséquilibre ionique au niveau de l’alimentation racinaire) mais il est inéluctable et ne peut être compensé que par la cessation totale des récoltes, ce qui est bien entendu incompatible avec l’exploitation forestière. Ce phénomène est cependant contrebalancé par la décomposition de la litière et par l’altération minérale, c’est-à-dire la libération d’éléments nutritifs (potasse, phosphore, calcium, soufre, fer, manganèse, etc...) par la roche, par les apports atmosphériques et le colluvionnement, qui contribuent à enrichir les sols. Lorsque la croissance des arbres est lente, décomposition et altération compensent dans une certaine mesure l’appauvrissement des sols qui résulte de la croissance des arbres et ralentissent donc le phénomène d’acidification si la forêt est exploitée de façon raisonnable, c’est-à-dire sans excès. Toute accélération de la croissance et de l’exportation du bois (les deux vont de pair) va donc créer un déséquilibre, sauf sur les très bons sols (a priori plus propices à l’agriculture qu’à la sylviculture) et générer de l’acidité qui ne pourra plus être compensée. Les sols vont donc se dégrader et devenir de moins en moins productifs. Le phénomène qui a vu le jour dans les sols agricoles depuis la mécanisation de l’agriculture et le recours systématique aux intrants (pesticides et fertilisants), va apparaître à son tour dans nos forêts
. Jean-François PONGE.
La forêt poumon vert important pour le stockage du carbone et sa croissance annuelle permet de neutraliser 1/3 des émissions de GES Bourguignons. Des pratiques sylvicoles inadaptées peuvent altérer ces réservoirs. La déforestation a pour effet de libérer le Gaz carbonique stocké dans les arbres et dans le sol. Le remplacement des forêts mélangées et étagées avec des monocultures d’essences à courtes révolutions comme le douglas a des effets négatifs sur le climat car les jeunes plantations mettront des années avant d’avoir un impact réel sur l’absorption des GES. Pour continuer à absorber, le bois doit être utilisé durablement et non brûlé. Le bois est une énergie renouvelable à condition de mobiliser la ressource avec parcimonie sans destruction des milieux forestiers. Or laisser la forêt aux mains d’investisseurs qui ne résonnent que rentabilité à court terme est contraire à leur pérennisation. Nous subissons les incohérences des politiques publiques et du Grenelle de l’environnement, car que veulent dire biodiversité, nature préservée, développement économique grâce au tourisme, multifonctionnalité des forêts, gestion raisonnée ? Nous qui vivons la dégradation de notre cadre de vie au quotidien, nous savons que sur le terrain les actions ne sont pas en phase avec les discours. Le soutien à des projets industriels surdimensionnés et hasardeux, va à l’encontre de l’économie locale En outre, pour que les entreprises fonctionnent à flux tendus, il est nécessaire de contractualiser des contrats d’approvisionnement pour des périodes longues sans préjuger des aléas climatiques, débarder par tous les temps, avec toutes les conséquences sur l’état des chemins et des routes dont les coûts d’entretien et de réalisation sont pour une part importante supportés par les contribuables ( remise en état des routes, des chemins communaux, financements des routes forestières, des places de dépôt du bois). Les exploitants locaux déjà souffrent d’une tension sur le marché du bois, que sera leur avenir lorsque deux géants auront le monopole en Bourgogne ? Le douglas en quelques décennies est devenu le roi des forêts : adieu le châtaigner, l’érable, le merisier, le chêne et le foyard ( hêtre), adieu les beaux massifs aux noms enchanteurs : La Certenue, Le Mont de Meux, La forêt de Patuet, La Gravelle déjà sacrifiés, fort heureusement nous avons encore de beaux massifs comme le Mont Touleur, La Vieille Montagne, Le Domaine de Montmain, Le Mont Préneley préservé grâce au combat des associations pour son classement .
Concilier gestion écologique de la forêt et économie: c’est possible ! Pour le prouver et pour préserver des parcelles d’essences mélangées et étagées, l’association Autun Morvan Ecologie, a lancé en 1993 une campagne pour freiner l’enrésinement du Morvan, puis a créé en 2003, le groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM). Le groupement est aujourd’hui collectivement propriétaire de 190 hectares répartis dans 8 forêts feuillues et mélangées grâce à de nombreux souscripteurs venus de tous horizons (particuliers, chefs d’entreprises, agriculteurs, forestiers), désireux de conserver la richesse du patrimoine naturel morvandiau. Les forêts du groupement sont gérées avec l’aide d’un expert forestier spécialiste de la futaie irrégulière et selon les principes de la sylviculture PRO SILVA (régénération naturelle, mélange d’essences, irrégularité des âges, arbres morts conservés comme biotope d'une faune et d'une flore nombreuse, rémanents laissés au sol pour l’humus).
Allons-nous laisser ce patrimoine forestier aux mains de quelques investisseurs qui
n’auront de cesse de faire des forêts morvandelles une usine à bois ? Allons-nous emmener nos enfants dans des arborétum pour leur expliquer les feuillus du Morvan? Allons-nous encore subir coupes rases, enrésinement massif, et plantations de douglas en rang d'oignons comme un champ de maïs? Réagissons avant qu’il ne soit trop tard. Aidez-nous à acheter de nouvelles forêts grâce à l’action collective du GFSFM.
Pour en savoir plus :
- JF PONGE : Professeur émérite du Muséum National d’Histoire Naturelle, Membre du Conseil Scientifique du GFSFM. http://www.mabiodiv.cnrs.fr/RubriquesEnFrancais/FichiersIndividuelles/Ponge.html
- Groupement Forestier pour la Sauvegarde des Feuillus du Morvan. www.sauvegarde-forets-morvan.com
- Revue scientifique Bourgogne Nature, hors série N°9 "La forêt en Morvan"
- Position à propos du bois énergie - Manifeste pour des forêts naturelles productives. www.prosilva.fr