Pour espérer opérer une reconquête de la biodiversité, il revient d’intégrer la biodiversité dans les politiques sectorielles (agriculture, pêche, urbanisme, etc.) et restaurer la biodiversité dite ordinaire.
Nous attendons les mesures concrètes, car malgré les grandes déclarations, les loi Grenelle , les chartes de l'environnement , les trames vertes et bleues, rien ne se passe sur le terrain. Il n'y a que Nature 2000 qui tire un peu l'épingle du jeu mais non sans problèmes.
Commentaires selon la LPO qui a fait un gros travail pour défendre la loi .
Les nombreuses propositions innovantes abandonnées en chemin ne permettent pas de parler aujourd’hui de loi visionnaire :
• Alors que la France aurait pu interdire la pêche au chalutage en eaux profondes, les parlementaires, aveuglés par les contre-vérités assénées par une poignée de députés du Morbihan et du Pas de Calais, ont laissé passer l’occasion et c’est l’Europe qui vient enfin de prendre cette responsabilité ;
• Alors que le statut d’être sensible était déjà reconnu à l’animal domestique, il est refusé à l’animal sauvage : un chat domestique est sensible, pas un chat sauvage; un chien souffre, mais pas le renard; un canari est sensible, mais pas le serin cini… Faire souffrir gratuitement un animal sauvage est accepté, dès lors qu’il n’est pas tenu en captivité. Le changement de notre rapport au vivant est en cours, les études scientifiques ont apporté nombre de connaissances sur la sensibilité et le comportement animal : dommage que des parlementaires n’aient pas su les prendre en compte ;
• Alors que 320 000 citoyens demandaient la fin des pratiques de la chasse à la glu, ou le déterrage des blaireaux en période de dépendance des jeunes, ces pratiques d’un autre temps vont continuer encore, couvertes par le prétexte de « traditions » ;
• Alors que la France aurait pu décider de taxer l’huile de palme au même niveau que l’huile d’olive et plus généralement de mettre en place une fiscalité écologique favorisant les modes de production à moindres impacts, le gouvernement a cédé à la pression diplomatique des pays producteurs (Indonésie, Malaisie notamment) et s’engage simplement à faire une proposition dans les six mois, c’est-à-dire après la dernière loi de finance du quinquennat ;
• Alors qu’elles soulèvent de nombreuses questions éthiques, économiques et environnementales, les variétés de colza et tournesols rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse (nouvelle technique pour obtenir des OGM), ne sont toujours pas réglementées de manière spécifique ;
• Alors que l’interdiction du dragage des fonds marins en présence de récifs coralliens aurait pu être clairement instaurée, le gouvernement s’y est opposé, préférant que l’adoption de cette interdiction soit renvoyée à un hypothétique plan d’action ;
• Enfin, alors que la Trame verte et bleue est essentielle au fonctionnement et à la résilience des écosystèmes, les nouveaux « espaces de continuités écologiques » constituent seulement une clarification du droit existant, sans permettre d’aller plus loin en termes de prescriptions dans les documents d’urbanisme. Une véritable évolution du droit de l’urbanisme, y compris commercial, est pourtant indispensable afin de lutter efficacement contre l’artificialisation des sols.
Que d’énergie dépensée pour maintenir les acquis…
Beaucoup d’énergie a dû être dépensée par nos organisations, la ministre en charge de l’environnement et la Secrétaire d’Etat en charge de la biodiversité et une poignée de parlementaires pour empêcher les régressions par rapport au droit actuel (encadrement de la publicité dans les PNR, maîtrise des activités dans les réserves naturelles, suppression de l’autorisation de défrichement pour les jeunes agriculteurs, etc).
Les discussions ne furent que rarement à la hauteur des enjeux, les lieux communs, les affirmations gratuites, voire les moqueries s’accompagnant d’un véritable déni des connaissances scientifiques…
Le débat sur le rôle des associations de protection de la nature dans la connaissance de la biodiversité, lors des discussions sur les plans d’action en faveur des espèces menacées, a montré le mauvais esprit de quelques parlementaires, et surtout leur méconnaissance profonde des enjeux et acteurs dans ce domaine.
De manière globale, les régressions successives introduites à chaque lecture, principalement par le Sénat montrent, au-delà d’un cynique jeu politique, qu’une majorité de sénateurs et une minorité de députés n’ont clairement pas pris la mesure de la situation, ni de leur responsabilité vis-à-vis des générations futures.
Mais une loi qui apporte de réels éléments novateurs
Cette loi instaure de nouveaux principes fondamentaux dans le code de l’environnement et une palette d’outils diversifiés pour les mettre en œuvre..
Des principes fondamentaux gravés dans la loi :
La loi de 2016 valide les nouveaux principes de non-régression du droit de l’environnement et de solidarité écologique et l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité. Elle inscrit pour la première fois les paysages nocturnes dans le patrimoine commun de la Nation et reconnaît le rôle des sols et de la géodiversité dans la constitution de ce patrimoine.
La consécration du préjudice écologique par son inscription dans le code civil confirme la jurisprudence de l’Erika, obtenue par nos organisations, et oblige celui qui cause un dommage à l’environnement à le réparer. La définition du préjudice écologique y est ambitieuse et reprend celle de la Cour d’appel de Paris dans l’Erika. Le texte permet une avancée puisque désormais l’action en justice est ouverte à « toute personne ayant intérêt et qualité à agir », laissant au juge une grande liberté dans la définition des titulaires de l’action. La prescription court désormais à partir de la découverte du préjudice, et non plus à partir du fait générateur, ce qui permet qu’elle soit plus longue en pratique.
L’Agence française pour la biodiversité créée au 1er janvier 2017
L’Agence verra bien le jour en janvier 2017 avec des prérogatives confirmées et des missions clarifiées. Des associations environnementales seront présentes dans son Conseil d’Administration et les enjeux outre-mer y seront bien représentés. Nos associations qui avaient porté cette idée saluent cette création qui doit permettre d’asseoir les enjeux de préservation et de reconquête de la biodiversité au même niveau que l’énergie et les déchets (Ademe) ou l’eau (Agences de l’eau). Elles n’oublient pas néanmoins que, avant même l’ouverture des discussions, les responsables cynégétiques obtenaient du plus haut niveau de l’Etat que la réflexion pour une intégration de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage dans la future Agence n’ait pas lieu. Contre l’avis -et l’intérêt- même de ses agents et leur souhait de coopération. Non contents d’avoir amputé la future Agence d’une partie de ses moyens et compétences terrestres, ils n’ont eu de cesse de chercher à amoindrir les compétences de la future Agence, essayant jusqu’au dernier moment de lui faire retirer la compétence de la police pourtant inscrite dans les missions de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques. Si le Président de la République s’est engagé à chaque conférence environnementale à lui donner les moyens pour réussir, à l’instar des autres agences environnementales d’Etat, l’AFB ne dispose pas à ce jour des moyens humains et financiers nécessaires (malgré le fléchage d’une partie de la redevance issue des activités en mer et de l’APA) Le compte n’y est pas à quelques mois de sa création, même si le texte élargit les compétences des agences de l’eau à la biodiversité terrestre et marine. Les actes doivent suivre les mots dès la prochaine loi de finances. Nos organisations ne se contenteront pas de la fusion de quelques établissements nationaux pré-existants. Elles poursuivront leur action pour élargir le périmètre de l’AFB à d’autres établissements publics, et en particulier à l’ONCFS, et voir garantis des moyens à la hauteur des ambitieuses missions données à l’Agence. La réussite de son déploiement dans les différentes régions n’est pas à ce jour acquise, notamment en termes de gouvernance.
Protocole de Nagoya et dispositif APA
La France, qui a une responsabilité particulière dans la lutte contre la biopiraterie en raison de la richesse de ses Outre-mer, est enfin autorisée à ratifier le Protocole de Nagoya. Ce texte pose les règles en matière d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées et de partage des avantages qui en découlent (dispositif APA). Le choix du gouvernement de transposer en droit français le protocole de Nagoya est une réelle avancée, qui fut délicate compte tenu des réticences des mondes de l’industrie et de la recherche. La redistribution d’une partie des bénéfices aux communautés locales était indispensable. Mais, en contradiction avec l’esprit du Protocole de Nagoya, gouvernement et parlement ont refusé que les communautés locales soient consultées pour l’accès aux ressources génétiques situées sur le territoire qu’elles habitent. A défaut, elles seront informées. La principale amélioration apportée par le parlement est que la compensation financière soit désormais fonction du chiffre d’affaire généré par la ressource génétique (5% maximum, au lieu de 1% comme demandé par le Sénat). À déplorer, un recul significatif opéré à cause d’un revirement de position du gouvernement: les ressources génétiques en collection seront soumises au dispositif APA uniquement si la « nouvelle utilisation » porte sur un nouveau domaine d’activité (cosmétique, pharmaceutique, etc.) ce qui exclut de nombreux cas. La loi précise et consolide le triptyque « éviter, réduire, compenser » (ERC)
La séquence ERC et les opérateurs de compensation sont précisés. Le texte prévoit que lorsque la compensation n’est pas satisfaisante, un projet ne peut être autorisé « en l’état ». Des prescriptions complémentaires doivent par ailleurs être imposées par le représentant de l’Etat en cas d’échec des mesures de compensation. Les mesures à prendre en cas de défaut de mise en œuvre de la compensation sont clarifiées, la dernière étape étant de faire procéder d’office aux mesures. Enfin, la compensation doit respecter l‘objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité.
Cependant, le développement de la compensation par l’offre devra être suffisamment encadré pour éviter les risques de dérive (non respect de l’équivalence écologique, manque de plus-value réelle pour la biodiversité…)
Gouvernance de l’eau
La réforme de la gouvernance des comités de bassin, demandée depuis longtemps par les associations et plus récemment par la Cour des Comptes, est enfin inscrite dans la loi – malgré la forte opposition du Sénat – avec la création d’un collège spécifique pour les usagers non économiques. Cette réforme permet de donner du poids aux usagers domestiques (ménages, etc.) qui paient environ 87% des redevances de l’eau (contre 6% pour les agriculteurs et 7% pour les industriels).
Obligations réelles environnementales
Nouvel outil, ces obligations réelles permettent aux propriétaires de terrains qui le souhaitent d’affirmer leur vocation écologique dans un contexte de transmission aux ayant-droits successifs, y compris donc aux générations suivantes. Elles se font dans le respect du droit commun, et notamment du droit des tiers. L’accord préalable et écrit de tous les preneurs à bail est encadré (l’absence de réponse vaut accord) et les refus devront être motivés.
Interdiction des néonicotinoïdes
Après moult péripéties, les parlementaires ont adopté une interdiction des insecticides néonicotinoïdes dès 2018. Cette interdiction est directement applicable, et entraînera le retrait des autorisations de mises sur le marché des produits phytosanitaires par l’ANSES. Des dérogations strictement encadrées seront possibles jusqu’en 2020 pour certaines filières pour lesquelles aucune alternative plus satisfaisante n’existe. Elles devront être prises sur décisions des trois ministres (Environnement, Santé, Agriculture) sur la base des avis de l’autorité scientifique compétente (ANSES).
Nos associations se réjouissent de cette disposition tout en soulignant que le combat contre les intrants chimiques ne fait que commencer tant leurs dégâts sur la santé et l’environnement sont immenses. Leur retrait nécessite une prise de conscience générale et des moyens importants pour réussir une transition agricole inéluctable.
Volet marin
La loi biodiversité complète les outils de protection des milieux marins et de lutte contre les pollutions. Elle instaure des zones de conservation halieutique permettant de protéger des zones importantes pour la ressource (frayères, couloirs de migration…). Mais elle permet aux comités des pêches d'être gestionnaires de réserves naturelles ayant une partie maritime - ce qu'a activement défendu le gouvernement alors que cette mesure instaure un conflit d'intérêts patent, les comités des pêches étant des organismes professionnels ayant comme mission première de défendre les intérêts de la pêche professionnelle. La loi permet aussi une belle avancée, soutenue par le gouvernement et les deux assemblées, dans la protection des mammifères marins en rendant obligatoire un dispositif anticollision à bord des navires croisant dans les sanctuaires Pélagos et Agoa, les collisions étant l'une des premières causes de mortalité non naturelle des cétacés. Elle clarifie le régime d’opposabilité des documents stratégiques de façade (métropole) et des documents stratégiques de bassin maritime (outre-mer). Elle interdit enfin les plastiques dans les cotons-tiges et les produits cosmétiques et d’entretien et propose de nouveaux outils dont l’encadrement des activités humaines sur le plateau continental, la gestion des eaux de ballast des navires entrant dans les eaux françaises et l’extension du statut de protection des espèces en mer.
Lutte contre la brevetabilité du vivant, échanges de semences locales et autres avancées
L’article qui permet les échanges de semences entre jardiniers amateurs à titre gratuit, mais aussi à titre onéreux par les associations de loi 1901, mérite d’être souligné.
D’autres dispositions méritent d’être soulignées comme la lutte contre la brevetabilité du vivant, le versement par les bureaux d’études des données d’observation de la biodiversité recueillies lors des études d’impact, l’obligation de boucher les nouveaux poteaux téléphoniques et filets paravalanches installés, mortels pour l’avifaune (en regrettant que cette disposition ne s’applique pas aux dispositifs déjà implantés), l'affirmation de la stratégie nationale pour la biodiversité et sa déclinaison obligatoire en stratégies régionales, la reconnaissance en droit français des sites Ramsar et des réserves de biosphère, le renforcement du régime des sanctions (atteinte aux espèces protégées, le délit de trafic de produits phytosanitaires en bande organisée), etc.