Il faut parfois montrer sa force, pour ne pas avoir à s’en servir. L’adage, associé au maréchal Lyautey , avait semble-t-il fait son chemin jusqu’à Larochemillay (58) ce samedi 6 novembre. Il fallait faire la queue pour pouvoir se garer parmi les dizaines de véhicules. Faire la queue, encore, pour boire un café soluble bienvenu dans la fraîcheur automnale. Plus de cinq cents personnes, hommes et femmes de tous âges, sont venues non pour contester, mais comme un avertissement : ils ne laisseront pas le Mont Touleur subir des coupes rases sans se battre.
Les nouveaux habitants viennent avec leur propre conscience écologique
En sommeil pendant près de trois décennies, l’association La Bresseille, à l’origine du rassemblement ( lire par ailleurs ), s’est réveillée à l’occasion du rachat de 200 hectares de forêt « par des propriétaires spécialisés dans le sapin (une holding danoise pour 90 % des parts et un sylviculteur français pour 10 %) ». Son réveil ressemble à la réunion d’une très grosse famille : tout le monde se salue, se sourit. Des enfants courent en riant autour d’une banderole géante, tendue au sol pour en faire une prise de vue par drone. Certains et certaines ont le Morvan dans le sang depuis plusieurs générations, d’autres sont arrivés récemment et en sont tombés amoureux. Les tenues vestimentaires sont aussi variées que les accents, quelques-uns s’expriment même en anglais, en hollandais, voire en allemand.
Une diversité qui donne du courage à Lucienne Haese, vice-présidente d’Autun Morvan écologie et figure emblématique de la lutte pour le parc naturel depuis plus de trente ans : « Il y a une prise de conscience progressive des Morvandiaux mais aussi l’apport de touristes et de gens qui ont des résidences secondaires et qui viennent avec leur propre conscience écologiste. Ça permet de discuter, c’est un enrichissement formidable »
« L’écologie est compatible avec l’économie, pas avec le profit à court terme »
La matriarche, qui peine à se déplacer sans ses deux cannes, se retrouve transfigurée au moment de prendre la parole. Le dos droit et la voix forte, elle assène : « On peut faire autrement, c’est certain. Il existe des sylvicultures, comme la méthode Pro silva , qui peuvent tout vous donner à la fois : paysage préservé, biodiversité protégée, qualité des sols. Même les propriétaires sont gagnants à long terme, car la forêt résiste mieux aux maladies. L’écologie n’est pas incompatible avec l’économie, simplement avec les logiques de court terme à tout prix, qui conduit aux coupes rases et à la monoculture de résineux. C’est contre ça qu’il faut être prêt à se battre. » Ovationnée au moment d’évoquer le rôle des élus et l’urgence de déclencher un changement de loi, son discours a lancé une marche à laquelle elle ne pouvait pas participer. Ça n’a pas empêché les centaines de marcheurs restants de s’élancer, ensemble et avec des sourires enthousiastes, à la conquête du Mont Touleur.
La joie de l’âme est dans l’action, dit un autre adage, lui aussi associé au maréchal Lyautey.
« Légalement plus difficile de construire un cabanon que de raser une forêt »
Visiblement émue et en colère, la présidente de l’association La Bresseille à l’origine du rassemblement, Valérie Bernadat, a pris la parole face à l’assemblée juste avant le début de la marche : « Il y a 28 ans déjà, j’étais agricultrice, on est venu me dire qu’il n’y aurait pas de coupes rases et j’y ai cru. Mais deux mois après, ils ont coupé neuf hectares en une semaine. Ils avaient laissé deux arbres seulement et ont osé me dire que ce n’était pas une coupe rase. Quand des propriétaires ont racheté les 200 hectares du Mont Touleur, on leur a écrit une lettre pour leur souhaiter la bienvenue, au mois de mars. Faute de réponse, j’ai commencé à téléphoner en août. Je peux vous dire que je connais l’indicatif du Danemark par cœur maintenant. J’ai fini par avoir l’un des associés, qui a refusé de me recevoir en rendez-vous. On nous a dit très simplement qu’on verrait bien, que si on entendait le bruit des tronçonneuses… Alors on a choisi de se réunir, d’abord en petit comité, et de sortir l’association de son sommeil, après 28 ans. On n’a pas d’autre moyen de se faire entendre. On n’est pas contre la propriété privée, mais il y a des droits et des devoirs. Il faut un permis de construire pour fabriquer un cabanon, mais pas pour raser 200 hectares de forêt… On a finalement rencontré les propriétaires, ils semblent bienveillants, on est prêts à les croire. Tout ce qu’on demande, c’est l’arrêt total des coupes rases et de la transparence, notamment autour du plan simple de gestion. »
Une pétition à plus de 30 000 signataires
Outre les centaines de marcheurs présents samedi, plusieurs dizaines de milliers d’internautes ont choisi de soutenir la cause par le biais d’une pétition, sur le site change.org. Intitulé “ Préservons le Mont Touleur à Larochemillay - 200 hectares menacés de coupes rases ! ”, le document plaide pour l’interdiction des coupes rases en France, sur le modèle de la Suisse et de la Slovénie, et milite pour l’application de la futaie irrégulière, qui consiste schématiquement à maintenir des arbres de variétés et d’âges divers plutôt que de chercher à optimiser le rendement économique à court terme de la forêt.
« On souffre déjà du réchauffement climatique qui entraîne des catastrophes »
Comme un symbole, la barre des 30 000 signatures a été dépassée juste avant le rassemblement de samedi et les nombreux commentaires, en français et en anglais, dénoncent autant le cynisme économique que l’inaction politique : « Il y en a vraiment de ces gens qui décident de tout et n’importe quoi. Il y en a marre de la destruction de nos forêts, de la nature. On souffre déjà du réchauffement climatique qui entraîne des catastrophes. Il faudrait réfléchir avant de décider n’importe quoi », martèle une internaute, quand une autre ironise : « Comment peut-on laisser ce genre d’actions se faire dans le contexte actuel ? En pleine loi climat résilience ? Contradiction totale… » Un agacement et une colère palpables, à l’image de celle ressentie à Larochemillay samedi.